L'article

COCKTAIL A BASE DE GOUDRON
Une exposition de Mario Duplantier
Rock School Barbey - Bordeaux
06/12/10


Article rédigé par Maria


On ne présente plus les Landais du groupe Gojira et leur death metal qui les caractérise : des sonorités brutes, authentiques, efficaces, chargées d’énergie positive, jamais d’agression, de la puissance pure et franche pour parler de la nature, de la Terre, de la Vie, de la Mort et de spiritualité ; une batterie qui tape vite, fort, lourdement, le cœur de Gojira. Ce cœur, c’est Mario Duplantier qui l’active avec toute sa technique, sa ferveur, sa générosité. Mais, derrière le batteur, il y a un artiste, un peintre, qui nous livre dans "Cocktail à base de Goudron", exposition proposée par le Théâtre Barbey de Bordeaux, des tranches de vie sur différents supports artistiques tels que papier, planche de bois, peaux de batteries, le tout élaboré sur la route de ses nombreux déplacements et proposé de manière simple, naïve voire primaire. Arrivée à Barbey à 21h, entrée gratuite, merci l’orga… Je commence mon tour dans la salle de concert qui fait ici office de galerie, la salle est sombre, seules les œuvres et la scène sont éclairées, sur cette dernière se trouve une toile tendue où sont diffusées des diapos de certains travaux de Mario. Il y a aussi un pupitre dans la salle où l’on peut découvrir en sa présence des œuvres non exposées… Une musique douce et vaporeuse m’accompagne dans ma découverte.



C’est blanc… C’est noir… C’est gris… Liquide, nuanc , bavé, projeté, aspergé, tapé, rayé, raté… On découvre un art minimaliste en apparence, naïf et inquiétant… La majorité des œuvres me font penser à des tests de Rorschach, sans la symétrie, la peinture est diluée, puis "soufflée", poussée de façon très précise jusqu’à former des êtres imaginaires, des dragons bizarres, des oiseaux dotés de dents pointues, des églises, des voitures qui rappellent le thème constant chez Gojira de la protection de la nature, des personnes, portraits, un couple.
"Le Couple", l’une de mes créations préférées car ici, Mario illustre la pensée, selon moi, de Platon et la notion du couple comme la reconstitution de deux atomes séparés. En effet, on y voit de profil un homme et une femme, ne formant qu’un seul être avec un cœur unique, tâche rouge et or explosée sur corps androgyne moitié homme moitié femme noir, avec à leur côté un chien… L’autre œuvre qui m’a touchée est "La Psychanalyse", toujours en encre diluée où l’on voit une tête tranquille d’où surgit un oiseau noir à long bec "denté". On ressent non pas un malaise mais, je ne sais pas, on ne peut penser qu’à l’artiste en voyant cette création et se dire "Bordel , il a ça dans la tronche"… C’est minimal mais efficace car vrai, simple et franc. Tout comme ses croquis réalisés à l’encre de Chine, traits fins et incertains, hésitants comme ceux d’un enfant qui s’essaie au dessin… Poignant de sincérité et de naïveté tant la symbolique est accessible, efficace et évidente. Le message passe . L’émotion est là, dans tout ce désordre maîtrisé.



Des tableaux texturés de sable, de glycéro, de cire de bougie, de surplus de peinture, d’"or", on cherche, on se demande ce que c’est… Comment s’est fait… Il y en a un où je ne me suis pas posée de question quant au support ni à la tech employée… La peau de batterie… Derrière ça , il y a une vie, une histoire, de la force, du tapage, un objet auquel on s’attache… Je suis d’ailleurs allée timidement voir Mario pour l’acquérir. "Oui , la peau de batterie, c’est que je suis batteur". Sans déconner… Il me raconte donc qu’il a commencé à bosser sur ses peaux pour faire vivre l’aventure Gojira. Celle que j’ai acquise date de la compo de "The Way Of All Flesh"… Un détail ridicule de groupie pour certains mais, au-delà de la peau, au-delà de Gojira, c’est l’énergie qu’a subi et vécu l’objet et dont il est empreint qui m’importe. "On s’attache à l’objet", oui Mario on s’y attache. C’est une simple peau, oui, il n’y a qu’un profil, tranquille et doux , posé en blanc raclé à la truelle sur ce support ayant connu la brutalité et la rage… Se retrouvent ici force et douceur, musique et peinture, en parfaite complémentarité.
Je finirais par le tableau au canard et au cadavre. Dessin sur papier blanc, un canard pleure à grosses larmes sur la poitrine d’un cadavre aux yeux ouverts d’où s’échappe une traînée noire intense. Le dessin est là encore, minimal, enfantin et naïf, sans fioriture, d’une simplicité bouleversante tant, encore une fois, Mario va à l’essentiel . On voit ici sa vision d’un être face à la mort d’une façon tendre et violente à la fois du fait du contraste entre le sujet douloureux traité et la symbolique épurée et animale inattendue utilisée. On est touché par cette spontanéité à l’état brut et cette régression picturale, ici fortement bénéfique me semble-t-il, qui chamboulent les âmes et nous ramènent en même temps à nos premières "œuvres" de gosses ainsi qu’à nos premières expériences de la mort.
Bref, conquise, j’ai été conquise, touchée, bouleversée, intriguée, invitée à me questionner, à retrouver mes yeux d’enfant et à découvrir la pensée d’un homme insoupçonnée jusqu’alors… Car , c'est cela que nous a proposé Mario , son regard d’adulte musicien avec son étiquette metal et soit disant violente. Cette violence, il l’a en lui, c’est indéniable, on ne peut que la ressentir au travers de sa transcription artistique primaire, crue, brute de la vie. Mais, il nous prouve que cette brutalité peut, si on le choisit, devenir un art, la brutalité comme énergie créatrice et positive, l’essence même de son univers et de la philosophie de Gojira . "Cocktail à base de Goudron", à consommer sans modération…

Le site de Mario Duplantier : http://marioduplantier.art.free.fr